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IL ÉTAIT UN SOIR • Lola Naymark

Cie L’Hôtel du Nord
En résidence du 20 au 31 octobre et du 8 au 19 décembre

Au départ il y a la volonté de m’emparer de ce moment de la journée si particulier, ce moment charnière, redouté par beaucoup d’enfants et de parents, moi la première : le soir, le coucher, l’endormissement.
Ce passage si ritualisé, comme un parcours dans lequel le moindre grain de sable peut venir enrayer la machine.
Le soir, ses espoirs, ses tourments, ses rituels, ses peurs, ses mystères qui adviennent quand le marchand de sable est passé, mais que les yeux refusent de se fermer.

Petite, mon père m’emmenait faire des tours de périphériques, des heures de voiture pour qu’enfin le sommeil me gagne, seul moyen de m’endormir. Aujourd’hui je suis maman de deux enfants, et pour aucun d’entre eux, le sommeil n’est allé de soi.

Mais pour qui va-t-il de soi ? Une tribu solidaire, un gang qui se reconnait parfois aux cernes sous les yeux, le gang des parents, tous les soirs nous espérons, redoutons, appréhendons le coucher, parfois plus que nos enfants.

D’abord c’est un pas de deux, l’enfant et le parent. Dès 18h – mais quand est-ce que cela commence vraiment, au diner ? au brossage des dents ? dernier pipi, dernière histoire, toute dernière pour la route, le petit massage au creux de la poitrine, la formule magique susurrée, la berceuse dont le disque est rayé à force d’avoir trop tourné– dès 18h donc, la mécanique se met en place.

Avec douceur et fermeté, minutieuse pour que rien ne déraille, que le train du sommeil n’ait pas de retard et être sûr qu’aucun passager ne reste à quai. Les coachs en sommeil font recette, vendeurs de rêves et d’espoirs et rares sont ceux qui peuvent se vanter de passer ce cap de la journée en toute sérénité. Je veux explorer ces deux petites heures où tout se joue, soir après soir, pour les parents et les enfants. Mettre en scène ces rituels si précis, si mystérieux, comme un parcours d’obstacles géant, sans cesse renouvelé, comme un cérémonial magique dont la recette gagnante certains soirs peut s’avérer infructueuse le lendemain.

Et lorsque le rituel est accompli, lorsqu’on referme enfin tout doucement la porte, lorsque l’on marche à tâtons ou que l’on rampe en évitant les lattes de parquet qui grincent, que se passe-t-il dans la chambre de nos enfants, dans leurs têtes ?

Alors le spectateur plonge, on resserre, on se glisse avec eux sous la couette du lit cabane, et dans la pénombre des veilleuses et des étoiles phosphorescentes, dans le calme de la nuit jamais si calme finalement, on tente de percer les mystères de ce voyage quotidien.

Le soir génère souvent chez les petits enfants des émotions très fortes que j’aimerais explorer de leur point de vue. Explorer les mondes qui émergent quand la nuit tombe, les mondes qu’ils s’imaginent en entendant les sons de leurs parents… et trouver ensemble le chemin – un chemin, pour atteindre l’aube.

Parce que malgré le lit des parents toujours plus doux que le sien, malgré ces idiots de moutons qui ne font que danser, et ce chat qui ronronne si serein à mes pieds – mais comment fait-il celui-là nom de nom-, malgré la montagne de questions qui se dresse devant moi sitôt que mes yeux se ferment, et ce camelot de marchand de sable auquel je ne crois pas, une chose est sûre, une seule : le matin viendra.